Premier pas « From Both Sides »
Samedi 29 octobre 2016, sur l’invitation de Kouzina Concept Store, j’ai dansé pour la première fois au Maroc. Je ne les remercierai jamais assez de m’avoir donné cette opportunité. Le format de la performance From both Sides n’est pas à son coup d’essai. Une sorte de solo de danse en marche évoluant à travers trois environnements sonores : une musique contemporaine (Steve Reich, 18 Musicians), une musique baroque (Handel, Alchina) et un silence. La danse débute à l’intérieur du Concept Store, la musique rappelle au corps ses désirs de mouvements, son besoin de jouer avec les espaces. Le jeu est omniprésent dans cet environnement où la créativité et l’inventivité exultent. Kouzina est une fenêtre ouverte vers l’extérieur, un portail créer pour communiquer, se connecter, se partager.
La deuxième partie de la danse s’est déroulée sur le parvis du Concept Store sur le plus beau fond de scène qui m’a été donné de voir. Le silence du lieu devenait l’environnement de la performance ; nous n’étions plus dans l’invention et l’émulation créative inspirée par Kouzina mais dans l’espace libre. Le vertige du silence face à ce décor à ciel ouvert. Rare et jouissive sensation de rencontrer et de retrouver quelque chose pour la première fois, l’emprunte sonore de l’espace public est plus qu’une simple inspiration pour le corps en mouvement. Il est difficile de donner un écho aux initiatives du type de celles dont le Kouzina Concept Store fait le relai. Il existe les réseaux sociaux pour les faire vivre dans « l’espace public » mais la dimension palpable qui donne le sens aux objets exposés ici se relaye difficilement via une publication sur facebook.Le débat qui a suivi la danse m’a fait prendre conscience de la nécessité d’être curieux à travers l’échange.Comme la danse, la curiosité sommeille en chacun. Assister à son éveil était un savoureux spectacle.
Pourquoi Mehdi Mojahid ?
Je suis Mehdi Mojahid. D’un homme naît marocain et d’une femme naît française je suis le fruit. Si je me vois dans la glace d’une salle de bain ou d’une salle de danse et que je me concentre sur l’essentiel, je vois l’amour dont je suis fait. Il continue à couler dans mes veines, à tracer les lignes de mon visage. Je suis né et depuis je n’ai jamais douté de l’amour, car j’en suis. Dès que ma bouche fut éduquée à prononcer des mots, à les porter, je suis monté sur scène pour en déclamer, d’abord au nom du théâtre. Sans à priori je m’invite dans un cours d’initiation à la danse contemporaine, avec une seule certitude : les filles (j’étais le seul garçon) y étaient jolies et je pourrais peut-être les toucher. A la différence du cours de théâtre où nous riions, pleurions, jouions à être et ne pas être. Je fantasmais un art vivant où tout était vrai :éveil des sens, jouissance du corps, résurrection de l’animal qui sommeille, etc.
Je m’appelle Mehdi. Je me suis approché de mon propre corps avant d’imaginer approcher le corps d’un autre. Le plaisir de la danse s’est manifesté à l’âge de 18 ans, à cette période où le corps affiche des tendances et des besoins inédits bien qu’attendus. Je suis entré en danse avec l’avidité caractéristique de cette période de vie. Au milieu de la tempête hormonale l’expérience de la danse a donné un sens à mes énergies érotiques, physiques et esthétiques. Au fur et à mesure des danses je ne dissociais plus ma personne et mon corps. Bref je suis entré en paix avec moi-même, ou du moins j’avais les outils pour l’être. Les axes du débat identitaire ont littéralement explosé à ce moment précis. Comment décemment jouer le jeu de la quête identitaire dans ces conditions ? Comment cette comédie pouvait elle encore se jouer dans un décor de vestiaire pour garçon vide, moi, seul figurant, j’enfilais ma tenue de danse, j’enfilais ma nudité. La danse que l’on m’a offerte et qu’aujourd’hui je continue à développer n’est pas un mode d’expression, elle est l’expression même. Je suis ma danse. Cette dernière a comme maître l’amour. Evidement, j’ai des convictions, politiques, esthétiques, artistiques… Pourtant ma danse n’en a aucune et ne pourra jamais en avoir, elle est innocente, pure. Si la danse vient à servir d’outil d’illustration alors « Ceci n’est pas une danse ». Ma danse ne survit pas au souci de bien faire, elle s’efface derrière les bonnes intentions. La danse a appris à être timide au fur est à mesure que l’on s’est éduqué à avoir honte de notre propre nudité. J’aime la danse et jamais je ne pourrais l’aimer autant qu’elle m’aime. Je suis un passeur de danse, ma seule ambition est de m’assurer que la danse continue. La danse a plus de projet me concernant que j’ai de projets avec la danse.
Je revendique à l’insu de mon plein gré mon appartenance à un style de danse contemporain naît sur la côte est des Etats-Unis à la moitié du XXe siècle et qui a été extrêmement bien accueilli en France dans les années 1980. Je n’ai donc jamais eu de professeur en matière de danse et n’ai jamais suivi un cours de danse contemporaine. J’ai bénéficié d’une formation professionnelle personnalisée auprès du chorégraphe Wes Howard avec qui j’ai entretenu une relation de maître-disciple : ces cinq dernières années il a partagé avec moi son amour de la danse, de la vie. En guise d’accompagnement à ma formation en danse je me suis inscrit à l’Université pour suivre des cours d’Histoire de l’Art. En cela j’ai réalisé mon idéal humaniste, cultiver aussi bien le corps et l’esprit comme un tout en harmonie.
Source : TLBB magazine